
Tahi Moore, Non pas la Forteresse installation, La Salle des Bains, Lyon, 2014
The other day I was walking in the woods on the border between Northern Italy and Switzerland when I stumbled across a trench built at the time of WWI. My mind wandered back to Auckland, New Zealand, at the site of a fortified promontory called North Head, where in 1885 tunnels were dug and gun placements built to counteract the Russian scares, i.e. the threat of an attack coming from the sea. Rather than being based on historical facts, the militarization of the hill was triggered by a news-paper spoof of the sighting of the Russian warship Casko’ whisky in Auckland’s Harbour, which panicked the government. Tahi Moore told me this anecdote, together with many other links, events, and places that, if at the outset seem disparate, develop into generative threads within his artistic narrative.
For his project Non, pas la forteresse! at La Salle de bains in Lyon, Moore has been working on four new video works from Auckland, the city where he was born and where he continues to live. The departure point was the screenplay La Forteresse French cinéaste Alain Robbe-Grillet wrote for Italian director Michelangelo Antonioni, which was never realised. Moore dwelled on the aphasia—the physical impossibility of speaking at the centre of the script. Tunnels were something that kept coming back in a circle that seemed to connect Auckland with Lyon, and Robbe-Grillet with the exploration of the self unfolding in Moore’s works. The artist’s concerns are philosophical in nature and his videos seem to exist between different stages of reality, where ideas and things assume, each time, varied weights and connotations which, as a result, contribute to changing the perception of the world they inhabit. Moore’s states of being linger on the four flat screens at La Salle de bains, mirrored in passages, parks, rocks and waterways.
His personal filmic style favours generic suburban settings and ambiguous natural backdrops, takes advantage of specific conditions of light and employs a slowed down or sped up editing mimicking – yet not effected by—the dos and don’ts required by cinematic genres. Despite being silent, all the videos deal with language.
The artist, the actor and the videos’ characters are all trying to say something, to communicate words that keep escaping comprehension or might be misunderstood in the French subtitles. The idea of a lack, of an absence seeps through the works; the artist incorporates a psychological struggle. Similarly, all his characters seem trapped in the failure of enacting their scenes.
The loop of one of the videos on view sees the artist staring straight back into the camera while reversing his car. Reversals as re-engineered thought processes, as well as the act of looking back or walking backwards, constitute recurring signifiers in Moore’s filmic language, as the reversed movement might help focus a new reality, erase the initial problem, and get out of an impasse.
In another work, the camera follows three idle characters: a girl and two boys—their actions half staged and half improvised—are limited to crossing the street, chatting, killing time, hanging out. When trying to think of references for this piece, Hollywood screen tests, Jules et Jim, and music videos, come to mind.
A man, alone, stranded on an endless beach, speaks words none can hear. The man has lost all his power; he embodies the battleground where language, imagination and lived life play them selves out. He yielded all reference points and can’t offer any to the viewer.
On a pile in a corner of the gallery the same model of Wrangler ProRodeo Jeans exists in three versions: one pair is brand new, one has been used by the artist only a few times, and one has been worn for two years. The original models were purchased on the internet, cost $20, unwashed and with a special twill for rodeo competitions, so real cowboy jeans, bought too large so they could be resized by Moore himself. The word ‘jeans’ comes from ‘bleude Genes’ (the blue of Genoa) while ‘denim’ originated in Nîmes, hence the name. I have also learnt this from Tahi Moore: denim is one of the recurring threads in his ongoing fiction.
Caterina Riva, 2014
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L’ autre jour, je me promenais dans les bois qui séparent l’Italie du Nord et la Suisse lorsque je suis tombée sur une tranchée construite à l’époque de la Première Guerre mondiale. Mon esprit se prit à vagabonder à Auckland, en Nouvelle-Zélande, sur le site d’un promontoire fortifié nommé North Head, où des tunnels furent creusés et des caches d’armes construites en 1885 pour contrer la crise russe et la menace d’une attaque par la mer. Plutôt que de se fonder sur des faits historiques, la militarisation de cette colline fut déclenchée par la une satirique d’un journal décrivant l’arrivée dans le port d’Auckland du Casko Whisky, un navire de guerre russe, ce qui paniqua le gouvernement. Cette anecdote, Tahi Moore me l’a racontée avec de nombreux autres liens, événements et lieux a priori disparates mais qui finissent par constituer la trame de son récit artistique.
Pour son projet Non, pas la forteresse! à la Salle de bains à Lyon, Moore a conçu quatre nouvelles œuvres vidéo à Auckland, la ville où il est né et où il vit encore aujourd’hui. L’artiste prend comme point de départ un scénario, La Forteresse, que le cinéaste et écrivain français Alain Robbe-Grillet avait écrit pour le réalisateur italien Michelangelo Antonioni et qui ne fut jamais tourné. Moore s’est particulièrement intéressé à l’aphasie – l’impossibilité physique de parler – qui se situe au cœur du scénario. Les tunnels reviennent ainsi dans un cercle qui semble connecter Auckland avec Lyon, et Robbe-Grillet avec l’exploration de soi qui découle des œuvres de Moore.
Les préoccupations de l’artiste sont de nature philosophique; ses vidéos semblent lutter entre les différentes étapes de la réalité, là même où les idées et les choses finissent par prendre le poids et les connotations qui, de fait, contribuent à l’évolution de la perception du monde qu’elles habitent. Les états d’être de Moore s’attardent sur quatre écrans à la Salle de bains et se reflètent dans les passages, les parcs, les roches et les cours d’eau.
Son style cinématographique favorise les ban – lieues génériques et les décors naturels ambigus, s’appuie sur les conditions spécifiques de la lumière et utilise un montage ralenti ou accéléré qui imite – tout en n’étant pas affecté par elles – les différentes conventions du cinéma.
En dépit de leur silence, toutes les vidéos traitent du langage : l’artiste, l’acteur et les person – nages des vidéos sont tous en train de dire quelque chose, de communiquer des mots qui échappent à toute compréhension ou peuvent être mal inter – prétés dans les sous-titres en français. L’idée d’un manque, d’une absence s’infiltre à travers des œuvres au sein desquelles l’artiste intègre une lutte psychologique. De même, tous ses personnages semblent pris au piège dans l’impossibilité de jouer leurs scènes.
La boucle de l’une des vidéos montre l’artiste au volant, regardant droit dans la caméra tout en effectuant une marche arrière. Des marches arri – ères comme processus de pensée remaniés, tout comme l’acte de regarder derrière ou de marcher en arrière, constituent des signifiants récurrents dans le langage cinématographique de Moore, dans la mesure où le mouvement inversé pourrait aider à cibler une nouvelle réalité, à e ff acer le problème initial et à sortir de l’impasse.
Dans une autre œuvre, la caméra suit trois personnages oisifs : une fille et deux garçons – leurs actions à moitié mises en scène et à moitié improvi – sées – et se limitent à traverser la rue, discuter, tuer le temps et traîner. Les références qui viennent à l’esprit sont les screen tests d’Hollywood, Jules et Jim ou des clips vidéo. Un homme, seul, échoué sur une plage infinie, prononce des paroles que personne ne peut entendre. L’homme a perdu toute sa puissance et il incarne ce champ de bataille où se jouent le langage, l’imagi – nation et la vie vécue. Il s’est débarrassé de toute référence et ne peut en offrir aucune au spectateur.
Empilé dans un angle de la galerie, le même modèle de jeans Wrangler ProRodeo existe en trois versions : une paire est neuve, une autre a été uti – lisée par l’artiste quelques fois, et la dernière a été portée pendant deux ans. Les modèles originaux ont été achetés sur Internet, coûtent 20 dollars, ne sont pas lavés et sont faits d’un sergé conçu pour les com – pétitions de rodéo – il s’agit donc de véritables jeans de cowboys, achetés volontairement trop grands pour qu’ils puissent être redimensionnés par Moore lui-même. Le mot « jeans » vient de « bleu de Gênes », tandis que « denim » est originaire de Nîmes, d’où son nom. C’est aussi quelque chose que j’ai appris de Tahi Moore : le denim est l’un des fils récurrents de son œuvre de fiction au long cours.
Caterina Riva, 2014